Lucia Teixeira-Waas

Lucia est née à Munich dans une famille aisée à l'avenir prometteur. Son père avait fait le choix d'investir dans l'industrie pétrolière, ce qui s'avéra plus que lucratif. Il propulsa le nom de sa famille parmi les plus influents, sans réellement se faire une place dans ce monde bien différent de celui, modeste, dans lequel il avait grandi. Quoi d'autre qu'un mariage pour décoller définitivement l'étiquette de "nouveau riche" qu'on ne cessait de lui lancer ?
La famille Teixeira, investisseurs attentifs de père en fils, rencontra la famille Waas pour affaires. Il en ressortit deux contrats, l'un pour lier les entreprises, l'autre pour lier les héritiers. On ne leur demanda pas réellement leur avis, et tous deux s'y résignèrent sans lutter. Lucia, 22 ans, épousa donc Dario, de 6 ans son aîné. Il était beau à regarder, brassait plus d'argent que la plupart des portugais et n'hésita pas à soutenir les études de droits dans lesquelles elle se démenait depuis déjà 4 ans. Pourquoi donc était-il resté célibataire si longtemps ?

Leurs premières années de vie commune se passèrent sans histoire, mais également sans amour. Lucia s'était faite à l'idée que sa vie lui avait échappée, qu'elle devrait se contenter d'une liberté ponctuée d'obligations, enchaînées à celle que son époux assumait déjà, plus ou moins malgré lui. Ses besoins, désirs et décisions primaient sur les siens sans que personne ne s'en offusque, même pas elle. Jusqu'à ce qu'il arrive, lui, l'étranger. Il s'invita chez eux le temps d'un stage, quittant sa terre natale pour découvrir le paysage chaleureux du Portugal. Il était jeune, prometteur, rêveur. Il jouait de la musique, aussi. Lucia serait bien incapable de dire comment la situation avait-elle pu se dégrader si vite. Comment avait-elle pu se laisser aller si loin. L'appel de la nouveauté, l'air de liberté. Elle voyait avec lui le monde d'un nouvel oeil : vivant, mouvant. Elle voyait un ailleurs là où il n'y avait eu, jusque-là, que des murs à la peinture d'or. Il resta là 6 mois, avant de disparaître. 6 mois pour faire naître l'espoir, quelques secondes pour le voir mourir, une vie entière pour le reconstruire.
Dario supporta mal la trahison. Il supporta encore moins le ventre rond de son épouse qui le renvoyait avec violence à sa stérilité. Bienveillance, soutien, douceur disparurent de son vocabulaire pour n'y laisser que les conséquences de la faute, qu'il se devait d'effacer. L'année 2004 ne devait plus exister.

Lucia ne parla jamais de ce que les portes de leur manoir avaient abrité durant des mois. De la douleur vécue, subie, donnée. De son coeur déchiré tenant à bout de bras l'objet de son délit. Les ordres étaient clairs, elle devait oublier. Pour leurs familles respectives, pour l'honneur, pour l'avenir. Oublier. Pour l'y aider, Dario accepta un poste à New-York et embarqua sa femme avec lui. Ils quittèrent le Portugal pendant près de deux décennies, jusqu'à ce qu'il n'y ait plus de honte à cacher, plus de souvenirs à effacer. Jusqu'à ce que la proposition qu'on lui fit soit plus grande que la crainte de voir son nom traîné dans la boue. 14 ans s'étaient écoulés.

Lucia avait fait carrière comme avocate en droit international. Elle s'était donnée corps et âme à son métier,  unique raison pour laquelle elle se levait encore depuis tant d'années. Elle voyageait beaucoup, dormait peu, rencontrait des ONG, des associations, des militants et des "oubliés". Ceux à qui on avait tout pris parce qu'ils n'avaient jamais eu les armes pour se battre. Son métier devenait sa rédemption, éphémère, chimérique. Lassée de ses déplacements incessants, Dario lui trouva un poste d'enseignante à Stanford, qu'elle refusa 3 fois avant de capituler. Privée de la seule activité qui la passionnait encore, Lucia s'enfonça de plus en plus dans la dépression, rendant leur vie de couple d'autant plus difficile à gérer. Elle devenait acerbe, violente, méprisante. Elle devenait celle qu'il haïssait, simplement pour avoir le plaisir de le voir sombrer. Lui aussi devait ressentir le désarroi dans lequel il l'avait plongée, la culpabilité lancinante qui lui lacérait l'âme. Ensemble, ils devenaient toxiques, chacun paré de son chagrin, de ses regrets et de sa rage. Leur quotidien devenait une disharmonie douloureuse dans laquelle s'abritaient les pires déviances. Jusqu'à ce que la lumière frappe à nouveau, et que l'espoir renaisse.

"Je sais où se trouve ton enfant", souffla-t-il, essuyant d'un revers de la main la trainée de sang laissée par les griffes de sa femme sur sa joue.

Instituto Vasco de Gama